Journal l'Humanité

Rubrique International
Article paru dans l'édition du 11 octobre 2001.

 

AFGHANISTAN Daniel Durand : " Se rencontrer, discuter, mobiliser "

Secrétaire national du Mouvement de la paix, organisation qui coordonne " l’Appel à l’opinion ", signé par quarante-cinq associations, syndicats et partis politiques, Daniel Durand s’explique sur le sens de la journée nationale d’actions d’aujourd’hui et sur la manifestation parisienne, ce soir, place de la République.

Que mettez-vous derrière le mot d’ordre fédérateur des diverses et nombreuses organisations qui appellent à la mobilisation ?

Daniel Durand. Très vite, une convergence s’est exprimée entre nous pour dire que le terrorisme était une impasse, qu’il fallait absolument le rejeter et poursuivre les auteurs des attentats aux États-Unis. Mais cela ne peut se faire uniquement dans le cadre du droit international, de manière unilatérale et en recourant à la force. Le débat entre nous a également porté sur les racines du terrorisme et un consensus s’est dégagé pour affirmer clairement que ces terroristes fanatiques puisent leur racine dans les injustices, les misères, les dérèglements et les inégalités causés par la mondialisation, sans pour autant établir de lien mécanique, voire mécaniste, entre les dégâts de la mondialisation et l’action consciente des forces terroristes. Nous estimons aussi que la justice n’est pas la vengeance, nous refusons une démarche qui entraînerait le monde dans l’escalade guerrière qui rajouterait à la mort d’innocents d’autres morts d’innocents.

Quelles étaient les divergences entre les diverses organisations ?

Daniel Durand. Peu de divergences se sont exprimées, à l’exception de quelques groupes qui avaient tendance à mettre l’accent avant tout sur les pratiques américaines depuis une dizaine d’années et à gommer la réalité des attentats. Ce qui, en fait, pourrait aboutir à minimiser la gravité du terrorisme.

Vous condamnez le terrorisme, mais comment faire pour le combattre ?

Daniel Durand. Nous pensons sincèrement que les formes de la lutte antiterroriste doivent être trouvées dans le respect du droit international, que ceux qui ont commis les crimes doivent être poursuivis, arrêtés et jugés à la mesure de leurs actes abominables. La voie la plus efficace est celle de la justice et du droit. En quinze jours, on a vu à travers le blocage des avoirs financiers et les arrestations les premiers démantèlements de réseaux intégristes. C’est donc bien une question de volonté politique. Il faut aussi que monte l’exigence d’un monde où la force ne soit pas la référence. On affirme que les États-Unis sont en légitime défense, c’est vrai au regard de la Charte de l’ONU. Mais cinquante-cinq ans après son instauration le monde a considérablement évolué. Pour moi, l’état de légitime défense n’est pas un permis de chasse à l’homme et, à plus forte raison, un permis de guerre. Tout en respectant la Charte de l’ONU, il faut revisiter son esprit. Car au XXIe siècle, le monde civilisé ne peut utiliser les moyens des terroristes pour les combattre. " Oil pour oil, a dit Martin Luther King, rend le monde aveugle. " L’opinion publique doit exiger des autorités françaises qu’elles continuent dans la voie de la retenue et exiger aussi qu’elles accentuent leurs efforts pour que s’arrête l’escalade de la vengeance, pour que la coalition antiterroriste reste dans le cadre des Nations unies, dans le cadre politique, dans le cadre juridique. C’est la meilleure façon de s’attaquer au terrorisme et à ses racines profondes. Sinon on ajoutera de la déstabilisation à la déstabilisation.

Comment appréciez-vous l’état d’esprit de l’opinion publique française ?

Daniel Durand. Je sens une grande lucidité de la part de gens très divers, il y a le souci de ne pas tomber dans le piège tendu par les terroristes. Beaucoup attendent une expression publique. " L’Appel à l’opinion " est lui-même révélateur du niveau de conscience. Se sont rassemblés à travers ce texte qui pose les questions de fond des associations pacifistes, celles qui luttent pour une autre mondialisation, un certain nombre de grands syndicats et des partis de gauche. Nous envisageons d’autres initiatives communes, tels des forums, des débats, car il faut continuer à se rencontrer, à mobiliser, à discuter ensemble dans des formes qui permettent à chacun de donner son opinion. Je pense qu’en France, du fait de cette disposition d’un grand nombre d’organisations, il n’y a pas de va-t-en-guerre. Continuons à pousser dans ce sens pour que le gouvernement et le président de la République en tiennent compte et demandons leur d’user de l’influence de la France pour que, au sein des Nations unies et des institutions internationales, la lutte contre le terrorisme soit remise sur ses pieds. L’attitude du shérif est passionnante dans un western, mais pas dans le monde d’aujourd’hui qui compte 185 États.

Propos recueillis par

Mina Kaci

 

 
Page imprimée sur http://www.humanite.fr
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