Journal l'Humanité

Rubrique Tribune libre
Article paru dans l'édition du 14 mars 2003.

 

Unis pour la paix Par Daniel Durand (*)

Le ministre français de Villepin a posé une question essentielle lors de la dernière réunion du Conseil de sécurité : " Pourquoi s’engager aujourd’hui dans une guerre en Irak ? " Jamais les buts de guerre des États-Unis et de leur allié britannique n’ont paru aussi flous (désarmement de l’Irak, lutte contre le terrorisme ?) ou aussi injustifiables devant la loi internationale (renversement du régime irakien, " remodelage " politique et économique de la région ?). Comme l’ont affirmé de nombreux juristes internationaux, " il n’y a aucune justification dans la législation internationale à l’usage de la force militaire contre l’Irak " (1). La France a donc raison de déclarer qu’elle " ne laissera pas passer une résolution qui autoriserait le recours automatique à la force " (2). Cela implique qu’elle utilise sans hésitation son droit de veto. Elle ne sera pas isolée tant au sein du Conseil de sécurité que de l’Assemblée générale des Nations unies, encore moins dans les opinions publiques. Les États-Unis et la Grande-Bretagne ne pourraient pas dans ce cas s’arroger le droit de mener une intervention militaire et de décider, seuls, qu’ils y sont autorisés parce qu’ils jugeraient qu’il y a " une violation patente " de la résolution 1441.

Mais de plus, il existe une possibilité dans la procédure onusienne pour surmonter ce blocage au Conseil de Sécurité, comme le rappelle le juriste américain Michael Ratner (3). En 1950, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté un mécanisme juridique dans sa résolution 377 dite " s’unir pour la paix " (" uniting for peace ").

" Uniting for peace " permet à l’Assemblée générale, si le Conseil de sécurité du fait du blocage des membres permanents ne peut maintenir la paix internationale, de se réunir dans les 24 heures pour examiner la situation et recommander des mesures aux États membres pour " maintenir ou restaurer la paix internationale et la sécurité ".

C’est cette procédure qui avait été utilisée justement par les États-Unis, en 1956, lors de l’attaque franco-britannique sur le canal de Suez. Pour contourner les veto français et britanniques, l’Assemblée générale avait tenu une réunion d’urgence, décidé une résolution très impérative qui avait conduit au retrait franco-britannique dans la semaine suivante. Après un veto français ou franco-russe à une résolution américano-britannique ouvrant la voie à une intervention militaire, la résolution 377 " uniting for peace " pourrait donc être utilisée pour obtenir de l’Assemblée générale des Nations unies qu’elle interdise toute action militaire contre l’Irak, qu’elle mandate le renforcement des inspections. Cette réunion extraordinaire n’a besoin pour se tenir que de la demande de sept membres du Conseil de Sécurité ou de celle de la majorité simple des 191 membres de l’Assemblée générale, ce qui serait facilement obtenable. Un vote massif contre une intervention militaire peut être espéré. On peut penser qu’il serait difficile alors aux dirigeants américains et encore plus britanniques et italiens d’ignorer la volonté de la quasi totalité de la communauté internationale. En " s’unissant pour la paix ", la communauté internationale montrerait sa capacité " à se saisir du destin d’un monde en crise et recréer ainsi les conditions de notre unité à venir " (4) ,comme a conclu le ministre français devant le Conseil de sécurité.

(*) Spécialiste des relations internationales, Institut de recherche pour la paix (IDRP), Paris, http://www.idrp.org.

(1) " War would be illegal ", The Guardian, vendredi 7 mars 2003.

(2) De Villepin, Conseil de sécurité, 7 mars 2003.

(3) Michael Ratner, President of Center for Constitutional Rights.

(4) Conseil de sécurité, 7 mars 2003.

 

 
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