Journal l'Humanité

Rubrique Tribune libre
Article paru dans l'édition du 11 septembre 2003.

 

Irak-Palestine : souverainetés et occupations

Par Daniel Durand, chercheur à l’Institut de documentation et de recherches pour la paix (*).

Le président de la République a rappelé que la solution de la crise irakienne devait être d’abord politique, que " le transfert du pouvoir et de la souveraineté aux Irakiens eux-mêmes constitue la seule option réaliste " (...). Il a raison.

Fondamentalement, l’invasion de l’Irak par les troupes de la coalition américano-britannique, sans mandat du Conseil de sécurité, a détruit la souveraineté du peuple irakien. La souveraineté des États a constitué l’élément de base du système international : c’est donc ce qu’il faut restaurer en priorité.

C’est pour atteindre ce but que le contrôle et la maîtrise du processus doivent être donnés aux Nations unies, seule source de légitimité internationale. C’est pour permettre ce contrôle que les troupes " occupantes " au sens même de la résolution 1441 du Conseil de sécurité doivent se retirer et être remplacées temporairement par une force internationale de casques bleus.

Tous ceux, et les militants antiguerre au premier plan, qui déclaraient en mars et avril dernier que la guerre, fondée de plus sur des motifs illégitimes, n’était pas une solution, avaient malheureusement raison. Le peuple irakien est débarrassé de la dictature de Saddam Hussein, on ne peut que s’en réjouir. Mais la situation matérielle, morale du pays est catastrophique ; la violence qui se développe, les humiliations et les souffrances quotidiennes peuvent créer un chaos, propice à tous les drames et les aventures.

Aujourd’hui se développe un débat public dans l’opinion britannique à propos de l’enquête sur la mort de David Kelly et sur les manipulations du gouvernement Blair pour dramatiser le dossier des armes de destruction massive. Aux États-Unis, la demande d’une enquête parlementaire impartiale sur les affirmations du président Bush et des collaborateurs concernant la présence de ces armes en Irak, les soi-disant achats d’uranium au Niger, recueille des dizaines de milliers de signatures. Il est remarquable de constater que ces deux débats portent tous deux sur un point fondamental : les raisons de la guerre. Cela montre que, contrairement à l’autre guerre du Golfe en 1991, l’opinion publique continue à se mobiliser et à être plus lucide sur les ressorts fondamentaux de la politique des gouvernements.

Si des pays comme la France, la Russie ou l’Allemagne continuent de dire qu’il faut " affirmer la primauté du droit dans les relations internationales ", si l’opinion publique continue de ne pas accepter les justifications de la guerre, si les Nations unies et son Secrétaire général ne veulent pas jouer les simples " ambulances humanitaires ", alors se pose la question : " l’alliance magique " - opinions publiques, États antiguerre, institutions onusiennes - qui a permis de tenir en échec l’administration Bush pendant près de neuf mois se reconstituera-t-elle ?

Plusieurs inconnues demeurent : la première est la capacité du mouvement antiguerre, dans sa diversité, à écarter les considérations politiciennes, les stratégies à courte vue pour se concentrer sur l’essentiel : permettre au peuple irakien de recouvrer sa souveraineté au plus vite.

Une autre inconnue réside dans l’attitude officielle française : la France osera-t-elle mettre en pratique ses dernières déclarations en prenant une grande initiative politique lors de l’ouverture de la nouvelle session des Nations unies mi-septembre ? Peut-on, alors, imaginer une pression mondiale suffisante, à cette occasion ?

Les convergences les plus larges ne se formeront qu’autour de l’exigence de la souveraineté du peuple irakien, avec ses corollaires : contrôle temporaire par les Nations unies et remplacement des troupes d’occupation par une force internationale de casques bleus.

Céder à la facilité de la radicalisation en renversant l’ordre des exigences pour se concentrer prioritairement sur des slogans comme " Fin de l’occupation " ou " Départ immédiat des troupes américaines " ne permettrait sans doute pas de reconstituer cette grande mobilisation de février dernier.

Une question semblable me semble posée par la situation en Palestine. La situation est aussi dramatique qu’en Irak pour les populations civiles, en particulier, pour la population des camps de réfugiés. Là aussi, la question centrale est d’aboutir vite à la reconnaissance et à l’établissement de la souveraineté du peuple palestinien, dont le territoire est occupé illégalement par l’armée israélienne, comme le premier ministre Sharon l’a reconnu officiellement pour la première fois, cet été.

Mais la similitude s’arrête là : ici, un processus existe et n’est pas à inventer comme en Irak pour rendre sa souveraineté au peuple palestinien.

Ce processus, accepté par tous dans son principe, s’appelle la " feuille de route " avec un objectif clair et accepté par tous : " L’établissement d’un État palestinien. " L’exigence ici est de faire appliquer cette solution et d’empêcher le développement de la violence terroriste de la part des extrémistes palestiniens ou la violence d’état du gouvernement israélien, en protégeant les populations civiles des deux côtés.

Maintenant que la création de l’État palestinien est acceptée par tous, que son existence " virtuelle " a été reconnue implicitement par M. Sharon lorsqu’il a admis l’occupation israélienne, la question d’une force internationale d’interposition et de protection des populations civiles se pose dans des termes différents.

Il y a bien deux États, deux territoires, deux peuples qui sont séparés, même si la frontière définitive n’est pas encore négociée et acceptée. Une pression suffisamment puissante de toutes les forces attachées à une paix juste et durable au Proche-Orient pour exiger que les membres du " Quartet " permettent la mise sur pied de cette force d’interposition, est-elle envisageable ? Celle-ci permettrait le retrait des troupes israéliennes et rendrait plus difficile politiquement les infiltrations terroristes Ce serait le premier pas vers la visualisation de la souveraineté palestinienne. Le président Chirac a reconnu à demi-mot cette nécessité en demandant que soit " établi sans délai le mécanisme international " chargé de superviser la mise en ouvre de la " feuille de route ". La France et l’Union européenne ont, en effet, une responsabilité particulière pour faire aboutir cette exigence et permettre sa réalisation. La future conférence intergouvernementale des chefs d’État de l’Union européenne, qui va démarrer en octobre, pourrait constituer un test d’une véritable volonté politique européenne de prendre une grande initiative pour la paix entre Israéliens et palestiniens. À défaut, les débats sur la constitution risquent d’être très académiques.

Le mouvement d’opinion pour une paix juste et durable au Proche-Orient est placé, lui aussi, devant un défi similaire : reconstruire une mobilisation populaire alors que celle-ci s’est enlisée depuis l’été 2002. La revendication de cette force internationale d’interposition et de protection peut être l’élément fédérateur. Là encore, le progrès dans l’opinion de la question de la souveraineté palestinienne et des conditions de son exercice - interposition internationale, retrait des troupes israéliennes, arrêt du terrorisme extrémisme palestinien - passe par la recherche des convergences les plus larges. La seule mise en avant de la fin de l’occupation israélienne des territoires occupés ne permettrait sans doute pas d’atteindre cet objectif, pas plus qu’un mot d’ordre globalisant comme " Non à toutes les occupations ". L’histoire a montré que la magie des mots ne suffit pas à mobiliser. Les populations civiles au Proche et au Moyen-Orient ont besoin de solutions concrètes, rapides pour mettre fin aux drames qu’elles subissent. Notre responsabilité citoyenne est de ne rien négliger pour créer les rassemblements puissants nécessaires pour y parvenir.

(*) Auteur de l’ouvrage Irak : qui a gagné ?, à paraître fin octobre 2003, aux Éditions La Dispute.

 

 
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