Journal l'Humanité

Rubrique Tribune libre
Article paru dans l'édition du 18 janvier 2005.

 

tribune libre
Une Europe au service d’un monde de paix
Par Daniel Durand,chercheur à l’Institut de documentation et de recherches pour la paix (IDRP).

Avoir obtenu la tenue d’un référendum en France sur le futur traité constitutionnel est positif pour les citoyennes et citoyens de notre pays. Mais l’expérience référendaire de la Ve République a montré aussi combien la réponse « par oui ou par non » peut être frustrante, voire équivoque sur le sens même de l’Europe que l’on veut construire. La clarté d’un vote pour le « non » au texte actuel de la constitution passe nécessairement par le projet alternatif qui le porte, et cela non pour demain après le scrutin, mais dès aujourd’hui. C’est, me semble-t-il, une condition pour nourrir un « non » dynamique et d’avenir, et non de repli et de peur devant l’avenir.

Pour contribuer au débat nécessaire, j’examinerai ici quels peuvent être les axes de propositions alternatives en matière de sécurité européenne, de multilatéralisme et de culture de la paix.

L’élément central politique est, pour moi, le soutien fort, clair, sans équivoque, exclusif, au droit international, au multilatéralisme et aux Nations unies. Je parle ici d’un soutien, non seulement à la structure onusienne, mais surtout à ses valeurs -les valeurs fondamentales de la charte, dont nous allons célébrer en 2005 le 60e anniversaire, c’est-à-dire la paix, la mise hors la loi de la guerre comme moyen de la politique, le refus de la force pour régler les conflits au profit du règlement politique de ceux-ci et de la coopération entre les États, le désarmement et l’utilisation des ressources humaines au service de la vie et non de la destruction ; et les valeurs nouvelles, construites dans l’évolution historique des soixante dernières années, au travers :

-  des divers traités et conventions, avec leurs notions de vérification, de contrôle et de transparence et confiance mutuelles ;

-  du développement des droits humains (femmes, enfants, droit au développement, à l’environnement) et de nouveaux concepts : développement humain, sécurité humaine ;

-  enfin de l’apparition du concept élargi de « culture de paix », sorte de synthèse de ces avancées et sorte de nouveau socle, de nouvelle vision de société.

Ce soutien de l’Union européenne à ces valeurs est inséparable du soutien à la réforme des Nations unies visant au renforcement et à la démocratisation des structures onusiennes, notamment le contrôle des institutions économiques de Bretton Wood (Banque mondiale et FMI) et de l’OMC.

L’Europe que nous voulons doit promouvoir, progressivement, à la fois une sécurité collective et coopérative moderne, ancrée sur le multilatéralisme et non sur la tentation de la puissance unilatérale, et une sécurité humaine s’appuyant sur les progrès du droit international, sur les premiers acquis, même s’ils sont encore insuffisants, de la charte européenne des droits fondamentaux, sur l’atout constitué par l’implication de la société civile européenne et de son tissu associatif. Cela suppose bien sûr que l’Union européenne soit dégagée de toute subordination à l’OTAN : c’est aux membres de l’Alliance atlantique de vérifier que leurs engagements dans celle-ci sont compatibles avec les valeurs de l’UE, et non l’inverse. La promotion de la sécurité humaine est liée à la relance du désarmement dans le monde et au reflux des dépenses militaires. La pression des opinions publiques européennes peut amener l’Union à jouer un rôle moteur sur ce point, notamment pour travailler à l’élimination des armes nucléaires. Parler de sécurité humaine amène à un préalable : ne pas séparer prévention des conflits, maintien de la paix et moyens civils et militaires, et cela autour de trois axes :

1. Développer la prévention civile des conflits et les capacités civiles de reconstruction après un conflit. Les politiques de prévention des conflits devraient se traduire par un partenariat privilégié, avec un renforcement des moyens, avec l’Organisation pour la coopération et la sécurité en Europe (OSCE) dont l’expertise est reconnue dans les situations d’après-conflit (reconstruction démocratique, justice, etc.), et qui est une organisation régionale constituant un pont avec la Russie et l’Est européen et

asiatique. La composante essentielle de cet effort pour la prévention devrait être la lutte pour le financement (à la hauteur des besoins) du développement dans le monde : plusieurs pays européens consacrent déjà le minimum de 0,7 % à l’aide publique au développement, il s’agit maintenant d’obtenir que tous les autres pays européens fixent un calendrier raisonnable mais rapide pour atteindre ce seuil. Un autre atout réside dans l’implication de la société civile : pourquoi ne pas créer un système généralisé de volontariat civil européen pour la médiation, la réconciliation, l’éducation à la paix ? Il créerait un nouveau lien, non pas le lien périmé « armée-nation », mais plutôt un lien « monde-jeunesse » s’enrichissant de l’expérience des dernières années qui ont vu la croissance des missions civiles, notamment en Palestine.

2. Développer un rôle pilote de l’UE en termes d’éducation à la paix, à la tolérance, aux droits humains et au refus de la violence, en profitant mieux de la chance d’avoir le siège de l’UNESCO sur le sol européen. Cet effort, pour réussir, doit s’appuyer sur l’engagement des collectivités locales et des organisations d’éducateurs européens pour faire le lien entre toutes les violences, du local au mondial. Une telle politique d’éducation à la paix, à la tolérance et aux droits de l’homme doit viser tant l’action interne, dans tous les pays membres, avec des modifications des programmes officiels d’éducation, que l’action externe au travers de la coopération décentralisée.

3. Développer un partenariat privilégié avec les Nations unies pour la prévention et le maintien de la paix dans le monde, sur les plans tant politique que militaire si nécessaire. Tout effort militaire commun européen doit se placer dans le but de fournir les moyens aux Nations unies de remplir leur mission pour le maintien de la paix, pas seulement en troupes (à ce propos, clarifions le mandat trop ambigu des Forces de réaction rapide, dont la création vient d’être annoncée récemment) mais aussi et surtout dans les domaines de l’« intelligence » (information, surveillance par satellites), voire des transports, pour que l’ONU ne soit pas dépendante d’une seule puissance (les États-Unis). L’Agence européenne d’armement, et même l’Agence spatiale européenne pourraient jouer dans ce cadre un rôle primordial. Cela poserait différemment la question des coopérations tant sur le plan de la maîtrise des fabrications d’armements que sur celui du contrôle des dépenses militaires. La catastrophe en Asie du Sud-Est a montré combien l’Europe pourrait apporter en moyens d’alerte et d’intervention rapide. L’utilisation du porte-hélicoptères français et la proposition de force de réaction rapide humanitaire sont des prémices des idées en évolution.

Ces propositions pour ancrer la construction européenne dans la culture de paix s’inscrivent dans un cadre et une vision élargie. Avoir des propositions qui portent loin pour l’Europe ne doit-il pas être le but de tous ceux qui voteront « non » à la constitution d’abord parce qu’ils ont une autre ambition pour l’Europe, pour l’action de ses citoyennes et citoyens, dans un monde de fraternité, de paix et de justice ?

 

 
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