Journal l'Humanité

Rubrique Tribune libre
Article paru dans l'édition du 16 septembre 2005.

 

tribune libre
Réforme des Nations unies : le multilatéralisme en jeu

chercheur à l’Institut de documentation et de recherches sur la paix.

C’est un sommet exceptionnel qui s’ouvre cette semaine à New York avec un nombre record de 170 chefs d’État et de gouvernement. Deux questions seront traitées : celle de la réforme de l’Organisation des Nations unies qui célèbre son 60e anniversaire est la plus médiatisée, elle n’est pas forcément la plus importante. Celle des décisions concrètes à prendre pour réussir les engagements pris en 2000 de réduction de la pauvreté, de relance du codéveloppement, a sans doute plus d’importance pour des milliards d’êtres humains sur la planète et sur la crédibilité des Nations unies devant ces populations.

Le secrétaire général Kofi Annan ne s’y trompe pas puisqu’il en fait la priorité. Le risque est réel, en effet, que ces objectifs ne soient pas atteints d’ici 2015 si des mesures énergiques ne sont pas prises, notamment en matière de relèvement de l’aide au développement et d’annulation complète de la dette. C’est précisément sur ces points que les États-Unis et leur nouvel ambassadeur, M. Bolton, multiplie les amendements, les obstacles à la conclusion d’un texte final.

C’est dans ce contexte que sont formulées des propositions de réforme de l’Organisation des Nations unies au travers du rapport du secrétaire général qui insiste sur l’interdépendance des problèmes : « Il n’y a pas de développement sans sécurité, il n’y a pas de sécurité sans développement, et il ne peut y avoir ni sécurité ni développement si les droits de l’homme ne sont pas respectés. » (1)

Ces propositions s’inscrivent dans un rapport de forces donné, et pour comprendre leurs limites, il faut rappeler que les Nations unies sont d’abord un système entre États, une sorte de supertraité reposant sur un texte fondateur, la Charte, ratifiée aujourd’hui par 191 pays. N’oublions donc jamais que l’interrogation : « Mais que fait l’ONU ? » doit d’abord se prononcer ainsi : « Mais que font les États ? », et donc, que fait le mien ? Et que fais-je pour qu’il agisse positivement ?

Plusieurs réformes de la composition du Conseil de sécurité, émanant de différents groupes de pays, sont en débat : elles amélioreraient certainement la représentativité géographique du Conseil de sécurité, mais ce simple élargissement numérique laisse pendantes de nombreuses questions, telle celle de la légitimité du veto. Il est clair que la place donnée à cinq grandes puissances (ce qui pouvait se justifier temporairement dans le chaos de l’après-guerre mondial) devient anormale aujourd’hui. Surmonter cet obstacle soulève une autre question : pourra-t-on supprimer l’hégémonie des cinq membres permanents tant qu’on ne s’attaquera pas à la racine de leur monopole, la possession de l’arme nucléaire ? La double urgence de l’abolition de l’arme nucléaire et de la réforme profonde de l’ONU ne se rejoignent-elles pas ici ?

La création annoncée d’un nouveau Conseil des droits de l’homme tout comme la notion de « sécurité humaine » peuvent permettre de renforcer la mise en oeuvre d’un droit international qui protège réellement les individus.

La question de la réforme ou de l’évolution du Conseil économique et social est moins médiatisée que celle du Conseil de sécurité mais est peut-être, à mon sens, plus importante pour tous ceux qui rêvent de construire « un autre monde ». Comme le rappelle Kofi Anan, les auteurs de la Charte en 1945 n’ont pas donné de pouvoirs coercitifs au Conseil économique et social qu’ils pensaient compléter plus tard par une organisation commerciale mondiale intégrée complètement au système onusien. Elle aurait été très différente de l’OMC actuelle, créée seulement en 1995, pour faire pièce à la CNUCED (Commission des Nations unies pour le commerce et le développement), jugée trop favorable aux pays en voie de développement.

Le rapport propose de redonner plus d’importance au Conseil économique et social des Nations unies (l’ECOSOC) en le chargeant d’assurer vraiment la coordination des politiques de développement menées par tous les organismes onusiens et d’impulser notamment la réalisation des objectifs du millénaire. Cette proposition peut sembler encore timide face au souhait de nombreux pays en voie de développement et d’ONG de voir l’ECOSOC se transformer en un véritable Conseil de sécurité économique.

Seul un tel Conseil pourrait avoir l’autorité pour intervenir et ne plus laisser seuls FMI et Banque mondiale influer concrètement sur les schémas de développement des pays. Kofi Anan émet seulement le souhait que l’ECOSOC, au travers de cette nouvelle implication dans la réussite des objectifs du millénaire et de la coordination du développement onusien gagne en crédibilité et soit « en mesure de donner des orientations aux efforts engagés dans ce domaine par les divers organes intergouvernementaux à l’échelle de l’ensemble du système des Nations unies »... Là encore, ce n’est qu’une perche tendue à un rapport de forces à créer...

C’est le même souci de permettre des évolutions possibles mais en tenant compte des réalités et des pressions des États qui inspire les propositions concernant l’Assemblée générale et la place de la société civile.

C’est donc, je crois, vouloir faire un mauvais procès à Kofi Annan que lui reprocher la timidité de certaines propositions alors que le rapport de forces ne dépend pas de lui. Le rapport « Pour une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l’homme pour tous », malgré ses limites, qui sont celles du rapport des forces interétatiques actuel, a contribué à faire progresser le débat sur la construction d’un monde plus multilatéral et coopératif. Il peut surtout fournir des points d’appui au mouvement pour un monde de paix et de justice pour faire progresser sa lutte : aux ONG, aux pacifistes, aux altermondialistes de les saisir... Des mobilisations ont commencé de se construire. Des réseaux internationaux se développent pour lutter pour une réforme profonde des Nations unies (voir par ex. http://ubuntu.upc.edu). Le dernier Forum social de Porto Alegre a vu la question de la réforme des Nations unies surgir. Le 11 septembre dernier, 100 000 Italiens ont marché entre Pérouse et Assise sur le mot d’ordre : « Bannissons la pauvreté et la guerre. Retrouvons notre ONU. Je le veux. Vous le voulez. Nous le pouvons. » C’est certainement au travers de la mobilisation de la société civile que réside la clé du déblocage d’une vraie réforme des Nations unies et du renforcement du multilatéralisme.

(1) « Pour une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l’homme pour tous », rapport du secrétaire général, document Nations unies A/59/2005, page 6.

(*) Daniel Durand vient de publier un ouvrage Changer le monde... Changer l’ONU ?, (vente militante ou voir http://ddurand42.free.fr).

Par Daniel Durand (*),

 

 
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