Journal l'Humanité

Rubrique Politique
Article paru dans l'édition du 8 juillet 2006.

 

umanité des débats
Des armes de plus en plus illégales

Par Daniel Durand, chercheur à l’institut de documentation et de recherches pour la paix

Il y a dix ans, le 8 juillet 1996, la Cour internationale de justice de La Haye rendait un avis consultatif sur la question qui lui avait été soumise par l’Assemblée générale des Nations unies en décembre 1994 : « Est-il permis en droit international de recourir à la menace ou à l’emploi d’armes nucléaires en toutes circonstances ? »

Cette question était venue aux Nations unies après une intense campagne d’opinion, en particulier d’ONG réunies dans le World Court Project, qui avaient rassemblé dans les cinq années précédentes 3,6 millions de signatures dans le monde entier sous forme de « déclarations publiques de conscience ». L’avis de la Cour était donc attendu, son interprétation fut controversée évidemment. L’enjeu était de taille : certes un avis consultatif n’est pas une décision, donc ne constitue pas une obligation. Mais cette limite est à nuancer, car un avis permet de « dire le droit ». Dans son avis du 8 juillet 1996, la Cour a estimé que « la menace ou l’emploi d’armes nucléaires serait généralement contraire aux règles du droit international applicable dans les conflits armés » mais elle « ne peut cependant conclure de façon définitive que la menace ou l’emploi d’armes nucléaires serait licite ou illicite dans une circonstance extrême de légitime défense dans laquelle la survie même d’un État serait en cause ». Les puissances nucléaires ont argumenté depuis pour expliquer que ce paragraphe justifiait le concept de dissuasion nucléaire, destinée à assurer la sécurité d’un État, alors que les ONG soulignaient le caractère exceptionnel de l’emploi éventuel d’armes nucléaires. La Cour estima également qu’il « existe une obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle international strict et efficace ».

C’est en s’appuyant sur cette dernière recommandation que les États non nucléaires et les ONG obtinrent que tous les États adoptent, en mai 2000, un « plan en 13 étapes » vers le désarmement nucléaire.

L’évolution de la situation mondiale donne aujourd’hui à l’avis consultatif de la Cour internationale de justice, malgré son ambiguïté relative, une nouvelle actualité et une pertinence renouvelée. Dans le nouveau contexte de la mondialisation, on assiste en effet à une évolution inquiétante des doctrines nucléaires et des programmes d’armement correspondants. En mars dernier, les États-Unis ont publié leur National Security Strategy. Cette stratégie réaffirme la nécessité de l’action préventive en utilisant la force. Cette force pourra utiliser à la fois des forces conventionnelles ou des armes nucléaires, et notamment des armes miniaturisées, les mini-nukes, selon la doctrine exposée dans la Nuclear Posture Review en 2004.Chacun peut constater qu’on est loin d’une « circonstance extrême de légitime défense dans laquelle la survie même d’un État serait en cause » !

Il en est de même lorsque le président Chirac élargit la liste des « intérêts vitaux » de la France qui justifierait l’emploi des armes nucléaires en y incluant « la garantie de nos approvisionnements stratégiques ou la défense de pays alliés ». Dix ans après, l’avis de la Cour est plus que jamais un appui politique pour montrer que les doctrines nucléaires et les programmes qui les accompagnent - mini-nukes, missiles M51 aux têtes « durcies » et aux capacités d’IEM (impulsion électromagnétique renforcée) - deviennent clairement illégaux, ce qui choque de larges secteurs de l’opinion.

Depuis celle du pape, du maire de Hiroshima, du directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique, Mohamed El Baradei, jusqu’au gouvernement suédois, le premier semestre 2006 a vu se multiplier les mises en garde. Toutes soulignent l’urgence de la relance des processus de désarmement pour aller vers une élimination totale des armes nucléaires et de toutes les armes de destruction massive.

Il est clair que ce n’est pas la voie de la facilité : une telle perspective suppose plusieurs décennies difficiles de combats politiques intenses, sur le plan diplomatique et sur celui de l’opinion, pour espérer pouvoir obtenir cette mise hors la loi complète des armes nucléaires, mais l’avis de la Cour internationale de justice de 1996 restera un appui de taille pour y parvenir.

 

 
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