Imprimer Fermer Idées - Tribune libre - Histoire - Article paru le 13 février 2009

tribune libre

Paix et désarmement : Sarkozy à contre-courant

Par Daniel Durand, chercheur en relations internationales à l’Institut de documentation et de recherches sur la paix (IDRP) (*).

Deux événements ont relancé l’intérêt pour la 5e conférence internationale sur la sécurité (Wehrkunde) qui s’est tenue à Munich le week-end dernier : le poids de la crise financière internationale et l’élection récente d’un nouveau président des États-Unis. Les réalités de la crise s’accompagnent de contradictions qui ne peuvent pas laisser indifférents spécialistes ou militants : n’a-t-on pas entendu Angela Merkel se prononcer lors du Forum de Davos pour la création d’un Conseil de sécurité économique de l’ONU, idée portée de nombreux courants altermondialistes ces dernières années ? Elle avait souligné la nécessité d’une charte en faveur de l’ordre économique mondial en ajoutant que "Cela pourrait même conduire à la création d’un Conseil économique des Nations unies, exactement comme on a créé le Conseil de sécurité à la fin de la seconde guerre mondiale".

Le président de ce 5e forum n’était-il pas un « réaliste » comme Henry Kissinger qui proclame, depuis deux ans, avec d’autres anciens secrétaires d’États étatsuniens, que la seule issue aux menaces de la prolifération est l’élimination complète des armes nucléaires ? Il rappelait ainsi au Wall Street Journal du 15 janvier 2008 « l’importance d’une vision du monde libéré des armes nucléaires, comme guide de notre pensée sur les politiques nucléaires et sur l’importance d’une série d’étapes pour nous écarter du précipice ». De la même manière, toujours sur le plan européen, le 30 juin dernier, dans une tribune parue dans le journal Le Times, les anciens ministres des deux grandes formations politiques britanniques, Douglas Hurd, Malcolm Rifkind, David Owen et George Robertson, avaient appelé l’Europe à se consacrer au désarmement nucléaire et à la non prolifération.

Enfin, le co-président du Forum de Munich était le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, qui avait déclaré, le 10 décembre 2008 à Berlin, à la Fondation Schwarzkopf , que « Si les grands noms de la politique étrangère et de sécurité américaine que sont Henry Kissinger, Sam Nunn, George Shultz et William Perry se font les avocats d’un monde dénucléarisé, nous devrions les épauler dans leur démarche en leur donnant une réponse européenne. »… La presse internationale soulignait d’ailleurs, samedi dernier, « En attendant Biden, le désarmement nucléaire ouvre la conférence »… Le discours du vice-président, Jo Biden, a été marqué, même s’il faut encore être très prudent dans les appréciations, par un ton très différent, par une approche plus ouverte des relations des États-Unis avec leurs alliés, avec la Russie ou l’Iran. De plus, deux jours avant, le journal le Times avait annoncé que Barack Obama aurait l’intention de proposer à la Russie de réduire de 80% les arsenaux nucléaires des deux pays et de ramener le nombre des ogives nucléaires à 1.000 pièces dans les arsenaux russe et américain.

Sans faire preuve d’un optimisme béat, on peut estimer que tous ces « bougés » dans les relations internationales, concernant le multilatéralisme et le désarmement, ouvrent de nouveaux espaces d’intervention politiques potentiels à tous les mouvements d’opinion, à tous les réseaux qui luttent pour une autre conception des relations internationales, pour une mondialisation plus juste et pacifique. L’intervention du président français, Nicolas Sarkozy, n’en est apparue que plus en décalage sur ces évolutions. L’examen sans complaisance de son discours, une fois écartées les grandiloquences du style genre : « Moi, je ne ferai jamais rien qui mette en cause l’indépendance de mon pays. Jamais ! » montre que les seules annonces concrètes sont celles-ci : « d’ici 2020, nous allons consacrer 377 Mds d’euros à nos armées. Nous garderons notre puissance nucléaire de dissuasion aux côtés des Anglais » ainsi que « c’est parce que l’on renforcera l’Europe de la Défense qu’il faudra renforcer l’OTAN ».

Rien dans ce discours sur une vison élargie du monde avec la place à rendre aux Nations Unies, rien pour dire que, dans ce monde surarmé, la France souhaite donner un nouvel élan aux processus de désarmement. À l’heure où les diplomates des États-Unis, de nombreux pays européens commencent à se poser, certes bien timidement, des questions sur la pertinence des stratégies de militarisations ou de force des six dernières années, les déclarations du président français apparaissent comme le ralliement, avec dix ans de retard, à une sorte de "blairisme" politique, dont l’échec est aujourd’hui patent outre-manche. S’affirmer comme le "bon élève" et fidèle adjoint des États-Unis, avPaix et désraler toutes les "couleuvres" de la politique étrangère US dans l’espoir de se voir octroyer la permission de développer la défense européenne commune, est une illusion, même si la politique étatsunienne se différenciait, demain, de celle de l’ère Bush. On ne peut détacher cette évolution de la politique étrangère française sans la relier aux orientations proposées dans le Livre blanc de la défense adopté par le Parlement en 2008, qui donne une justification théorique à cette dérive en proposant une "militarisation" accrue des questions de sécurité et du règlement des problèmes internationaux. Quelle dérision, d’ailleurs, que de ne proposer comme « grand » projet de renforcement de l’amitié entre jeunes allemands et français, que le stationnement d’un régiment de la Bundeswher en Alsace…

Cette attitude qui est déjà, et sera vue demain, dans le monde comme un vulgaire alignement de la France sur les plus mauvaises politique US, présente un double risque. Le premier est celui d’une perte de crédit diplomatique dans de nombreux pays non-alignés. Le second est celui de se trouver entraîné dans des aventures militaires douteuses en y suppléant les États-Unis, soucieux de se dégager du bourbier. Cela surtout sonnerait le glas des possibilités de construire une politique étrangère de l’Union Européenne vraiment indépendante et originale, basée sur la défense du droit international, du multilatéralisme et des coopérations égalitaires avec les pays en voie de développement. Seule une telle politique pourrait renforcer les éléments positifs en germe dans les nouvelles orientations en discussion à Washington. Les propositions du président Sarkozy nous tirent vers le passé en s’inscrivant dans les vieilles logiques de militarisation et de puissance.

Dans cette situation en mouvement, l’intervention des opinions publiques et de leurs organisations, peuvent apparaître plus essentielles que jamais. Parions que le succès de la mobilisation lors du contre-sommet à l’OTAN, prévue le 4 avril à Strasbourg, sera regardée de près !

(*) Dernier ouvrage paru : "Désarmer ou périr - pour une sécurité plus humaine, une diplomatie plus citoyenne" - http://www.ilv-edition.com/